La Mort! Un mot qui tombe dur sur le cœur et qui effraie l’homme. La mort parait comme un sombre destin qui accompagne chaque personne dès sa naissance et qui vient pour étouffer en elle les aspirations de la vie et voler les êtres les plus chers à son cœur. Comment pouvons-nous l’accepter elle qui vient s’imposer sur nous pour nous détruire et nous limiter ? C’est beau de vivre, d’aimer, de se réaliser, mais quand vient la mort dans notre solitude comme un éclat de cor pour nous arracher à la vie et nous mettre devant notre finitude que pouvons-nous faire ? Et alors pourquoi la vie si la mort lui met un terme ? Pourquoi travailler et en quoi espérer ? Comment l’accepter se réconciliant avec elle? Plusieurs questions qui restent ouvertes. Espérons-nous trouver des réponses ?
Notre religion Chrétienne nous enseigne et nous aide à percevoir la mort comme un passage qui permet à l’homme de rassembler tout ce qu’il a reçu en son existence, pour en faire une offrande, une remise de soi entre les mains du Père, à l’école du crucifié. C’est ce qu’a expérimenté notre bienheureuse Elisabeth de la Trinité qui a affronté la mort de manière très significative et qui nous en donne une perspective eschatologique nous éclairant aujourd'hui sur la manière d'envisager notre mort, de la vivre et par elle d’aller « à la lumière, à 1'Amour, à la Vie » en un mot « d'entrer dans la Vie », comme disait Thérèse de Lisieux.
Il s’agit dans ce Travail intitulé «la signification eschatologique de la mort chez Elisabeth de la Trinité» de présenter en premier lieu Elisabeth en quelques lignes, ensuite d’expliciter sa conception de la mort qui émane effectivement de son expérience personnelle s’appuyant sur son autobiographie et sur ses lettres.
1- Qui est Elisabeth de la Trinité?
Née à Bourges le 14 Juillet 1880. La famille déménagea plus tard à Dijon où le père mourut entre les bras d’Elisabeth laissant une veuve et deux filles. Elisabeth se distingua dès son enfance par de multiples talents artistiques. Au Carmel, elle contracta une maladie incurable (tuberculose), ensuite est atteinte d'une maladie inguérissable (Addison). Les glandes surrénales ne produisent plus les substances nécessaires pour le métabolisme, ce qui a aboutit à une asthénie caractéristique, troubles gastro-intestinaux, nausées, hypotension artérielle, quasi-impossibilité de se nourrir, amaigrissement, ce qui a conduit cette jeune carmélite à un épuisement physique total et à la mort. Elle supporta les souffrances pour neuf mois et avant de s'éteindre le 8 octobre 1906 à vingt-six ans, elle dit: «Je pars pour la Lumière, l'Amour, la Vie». Le Pape Jean Paul II l'appela «le prophète de Dieu pour cette époque».
2- Expérience d’Elisabeth avec la mort avant son entrée au Carmel
Dès son bas âge, Elisabeth a connu ce qu’est la mort quand son père a soufflé son dernier soupir entre ses bras alors qu'elle n'a que sept ans. Cela n’a pas causé une révolte chez elle mais a consolidé sa foi voyant dans la mort à cet âge-là un retour « au sein de Dieu, dans la belle cité des Cieux, un appel de Jésus «à l’éternelle gloire». La mort n’est pas une fin mais une ouverture à l’au-delà, un passage à la vraie vie. Avant même d’entrer au Carmel, elle voyait la vie comme une anticipation théologale du ciel, et la mort comme le passage dans la plénitude de son union à Jésus commencée et déjà vue comme définitive. Son secret est dans cette vie intérieure qui transfigure déjà pour elle les réalités de sa vie humaine.
Elisabeth affirme: «II me semble que, si je voyais la mort, malgré toutes mes infidélités je m'abandonnerais entre les bras de mon Dieu comme 1'enfant qui s'endort sur le cœur de sa mère: ce n'est pas autre chose, et Celui qui doit être notre Juge habite en nous, II s'est fait le compagnon de notre pèlerinage pour nous aider à franchir
le douloureux passage» 1 .
Pour Elisabeth, la mort se vit en anticipation, au jour le jour, par le renoncement à soi; une mort continuelle à soi-même qui permet au Christ d'être notre vie et le Tout. C’est une mort spirituelle qui est vie nouvelle et préparation de l’éternelle. La confiance en Dieu permet de vivre la mort comme un passage vers le royaume déjà possédé ici-bas dans le Christ.
Dans une lettre adressée à son amie Framboise de Sourdon, Elisabeth encourage son amie et lui parle spontanément de la mort qui Consiste à enlever le voile qui nous sépare de Dieu, ce Dieu d’amour, de miséricorde et de bonté. Elle dit: «Framboise chérie, lorsque viendra aussi pour nous 1'heure décisive il ne faut pas croire que Dieu viendra au-devant de nous pour nous juger, mais, par le fait de la délivrance de notre corps, notre âme pourra le voir sans voile en elle-même, tel qu'elle le possédait durant toute sa vie mais sans pouvoir le contempler face à face: ceci est tout à fait vrai, c'est de la théologie» 2.
Nous retrouvons avec force le sens « eschatologique » de la mort, car le futur, le jugement et le pardon, et 1'au-delà lui-même du passage, peuvent déjà être vécus, dans le présent, de la communion à Jésus qui habite en nos cœurs.
3- Expérience d’Elisabeth avec la mort au Carmel
La mort vient résonner comme un éclat de cor dans un lieu de solitude sonore. Elisabeth a vécu la mort dans son corps, tout est sombre, tout se détruit en elle, seule la foi reste éveillée et la garde en communion avec son bien-aimé. Cette foi l’a poussée à voir dans la mort la plénitude de l’amour qui nous transforme en victime de l’amour miséricordieux. Entendons-la nous décrire comment elle vit sa mort : «N'as-tu jamais vu de ces images représentant la mort moissonnant avec sa faucille ? Eh bien, c'est mon état, il me semble que je la sens me détruire ainsi... je t'assure que si je restais là, je ne sentirais que ma lâcheté dans la souffrance... Mais ceci, c'est le regard humain. Et bien vite « j'ouvre 1'œil de mon âme sous la lumière de la foi », et cette foi me dit que c'est 1'amour qui me détruit, qui me consume lentement, et ma joie est immense et je me livre à lui comme une proie»3. C’est le réalisme de 1'expérience de souffrance et de joie d'Elisabeth qui souffre avec amour et abandon et qui accueille la mort comme grâce. Elisabeth est entrée en profondeur dans le mystère de la rédemption et elle a passé dans la nuit de l’esprit. La mort n’est pas un obstacle voilant tout devant elle. Par la foi, elle se préparait à franchir l’obstacle de la mort pour arriver au ciel et contempler le visage de son bien-aimé face à face.
La souffrance dans son lien intime à la mort devient pour Elisabeth une préparation au mariage définitif avec Jésus. Cette préparation et ce passage, selon elle, sont durs mais désirables. Elle passe dans la nuit et rien que la foi peut la guider et les prières de ses sœurs et amis qui peuvent la soutenir à supporter le poids de la souffrance et se tenir ferme dans la foi et brûlante d’amour et désir de s’unir au Christ. Dans ces derniers jours de vie terrestre, elle écrit: «Priez pour moi, aidez-moi à me préparer pour le souper des noces de 1'Agneau… A mon tour je viendrai vous assister à votre mort. Mon Maître me presse, II ne me parle plus que de 1'éternité d'amour. C'est si grave, si sérieux; je voudrais vivre chaque minute pleine»4. Elisabeth vit sa mort dans sa fidélité qu'elle reçoit à chaque instant, et qui 1'oriente vers 1'éternité. C’est dans le présent qu’elle commence à goûter les délices de l’éternité. La mort n’est que la porte qui nous conduit à contempler Dieu face à face chantant ainsi devant lui ses miséricordes vivant de lui, pour lui et en lui.
Conclusion
La mort n'est pas un moment que 1'on gère comme on veut. Notre conscience doit la connaître et notre volonté doit renoncer à son indépendance pour reconnaître le dessein de Dieu et choisir la destinée qu'il nous a préparée, la recevoir de sa main, gratuitement. La liberté de 1'homme s'accomplit dans ce choix à vivre la prédestination d'amour que le Père a pour nous; ce choix se réalise par des morts successives à soi-même qui permettent d'être des enfants qui, par amour, accueillent le don de Dieu qui fait miséricorde. C’est ce qu’a vécu Elisabeth de la Trinité. Son union au Christ, Crucifié par amour, sa vie en elle, lui a permise de discerner ce qu'est la vie de 1'homme dans le mystère du Verbe incarné, et de connaître la mort de l'homme comme acte de passage vers le Père, de réalisation plénière de son dessein de grâce, de Vie parfaite dans sa Lumière et son Amour: «Je vais à la lumière, à 1'Amour, à la Vie». Eclairée par l’amour de Dieu, la mort change de sens même en gardant sa douleur jusqu'à la souffrance extrême. Plus Elisabeth monte en souffrance dans sa passion unie au «Divin Crucifié», plus elle grandit en joie de 1'accueil du don de Dieu. Elle grandit dans 1'abandon à son Amour et connaît ainsi une sagesse qui transforme toute forme de mort en anticipation du moment décisif de son passage en Dieu: un don de soi d'enfant qui se sait aimer de son Père, qui s'endort dans ses bras de Père.
Qui acceptera de mourir à lui-même en toutes choses s'ouvrira dès maintenant à la Lumière, il pourra vivre progressivement toutes choses en Dieu, la souffrance et la mort même, parce que Dieu, le Christ Jésus, sera la Vie de sa vie. Sa mort physique, devient comme acte-sommet d'une vie qui ne cesse de passer « en Dieu ». La mort humaine prend son véritable sens, celui de la mort du Fils unique de Dieu, participée dans la Puissance de son Esprit, et féconde pour son Corps, l'Eglise. Par Jésus, il est possible à tout homme d'espérer comme Elisabeth aller «à la lumière, à 1'Amour, à la Vie»5. Plénitude du désir pour un rassasiement sans fin. Don gratuit de Dieu, Abîme de la Miséricorde.
1- Elisabeth de la Trinité, Œuvres complètes, Cerf, Paris 2007.
2- Conrad De Meester, Ta Présence est ma joie, Elisabeth de la Trinité Vie et message, Carmel de Dijon, 1994.
3- Elisabeth de la Trinité, écrits spirituels, lettres, retraites et inédits présentés par P. Philipon, Seuil, Paris, 1948.
1 Elisabeth de la Trinité, Œuvres complètes, lettre n ˚ 263 à madame Sourdon, Janvier 1906, Cerf, Paris 2007.
2 Ibid.
3Elisabeth de la Trinité, Œuvres complètes, lettre n˚ 310 à madame Angles, Mars 1905, Cerf, Paris 2007.
4Elisabeth de la Trinité, Œuvres complètes, lettre à Sœur Marie Odile n˚335, Cerf, Paris 2007.
5Conrad De Meester, Ta Présence est ma joie, Elisabeth de la Trinité, Vie et message, Carmel de Dijon 1994, p.68.